Le désespoir des familles face au poids de l’exclusion scolaire : une association tente de les épauler
L’exclusion scolaire touche de plus en plus d’étudiants, qui sont aussi de plus en plus jeunes. Cette situation d’exclusion ne touche pas seulement l’élève, elle bouscule le quotidien de toute une famille. Pour Jasmine*, le renvoi de son fils a été vécu difficilement. Son fils de 14 ans, Sami*, est actuellement en plein recours face à son renvoi.
Le motif ? « Perturbe le cours », « rigole sans arrêt », « refuse de travailler ». Des critères qui à eux seuls ne justifient pas un renvoi définitif aux yeux du décret du 24 juillet 1997, définissant les missions prioritaires de l’enseignement : « Un élève régulièrement inscrit dans un établissement de la Communauté française ne peut en être exclu définitivement que si les faits dont l’élève s’est rendu coupable portent atteinte à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’un membre du personnel ou d’un élève, compromettent l’organisation ou la bonne marche de l’établissement ou lui font subir un préjudice matériel ou moral grave ».
Pour Christelle Trifaux, directrice du service Droit des Jeunes, le cas de figure de Sami est loin d’être unique : « Sur l’année scolaire 2016-2017, les écoles lancent dans 72% des cas une procédure de renvoi sur base de motifs qui sont totalement arbitraires. Notre but est de nous assurer que les droits de l’enfant ont été respectés. Nous vérifions avec l’enfant ou les parents que la loi a bien été respectée et si les motifs du renvoi nous semblent insuffisants, nous entamons avec eux une procédure de recours ».
Ces services sociaux, qui assurent une aide sociale et juridique, sont souvent une bouée de sauvetage pour les jeunes ou leurs parents, pas toujours au courant de leurs droits et des possibilités qu’ils ont face au renvoi de leur enfant. « Clairement, la majorité des parents ne comprennent pas les règles. Ils sont désemparés et ne savent pas ce qui est possible de faire d’un point de vue juridique », confirme Christelle Triffaux.
Lettre de renvoi
La période du recours est alors un moment compliqué pour les familles. Dans cette période d’incertitude, Sami n’a plus été autorisé à être scolarisé dans son école. Une situation qui l’a mené à prendre du retard dans les cours, augmentant de surcroît le risque de décrochage scolaire. « J’ai surtout peur de ne pas pouvoir être prêt pour mes examens ».
S’en suit alors une véritable guerre entre la famille et la direction de l’école. Accumulation de rendez-vous, difficultés pour la famille d’obtenir des documents administratifs voire même refus de l’école de fournir le dossier disciplinaire de l’élève. Ce dossier est pourtant primordial car il recense les faits commis par l’élève et il doit légalement être remis à l’élève ou à ses parents lors de l’audition qui suit la demande de renvoi. « On ne savait même pas précisément ce que l’on reprochait à Sami », confie Jasmine, visiblement épuisée par toutes ces démarches administratives. Aujourd’hui, la famille envisage de prendre un avocat.
« Au début de l’année, nous étions une quinzaine en classe. Aujourd’hui, ils ne sont plus que huit. Nous sommes sept élèves de la même classe à avoir été renvoyés », détaille Sami. Sa mère explique quant à elle qu’elle a le sentiment que la direction de l’école « fait le ménage», en prétextant n’importe quel motif pour se débarrasser d’élèves dont elle ne veut plus.
Motifs d'exclusion invoqués par les établissements scolaires
Haut potentiel mais exclu
En deuxième secondaire, le centre PMS (Psycho-Médico-Social) de l’établissement scolaire de Sami a été interpellé par son cas. À la suite de plusieurs entretiens, on remarque chez lui qu’il ne supporte pas l’injustice et qu’il possède une forme de sensibilité exacerbée. Le centre PMS conseille alors à ses parents de lui faire passer des tests, afin de déterminer si Sami n’est pas un haut potentiel. « Souvent, je parle parce que je m’ennuie. Je finis mes exercices puis, dès que je n’ai plus rien à faire, je parle avec mes camarades. Mais je ne parle jamais exprès pour déranger le cours ».
Le résultat tombe quelques semaines plus tard : « Le bilan qualitatif démontre que Sami a un fonctionnement de jeune à haut potentiel. (…) Il indique très clairement des zones à haut potentiel, notamment dans le langage. Sami aurait intérêt à prendre en compte ses besoins spécifiques : besoin d’intensité, besoin de complexité et de sens afin de vivre pleinement son potentiel », conclut Relaxeau, un centre pluridisciplinaire de dépistage et d’accompagnement des personnes à haut potentiel.
Mais alors comment un jeune de 14 ans, qui est haut potentiel et qui tourne autour de 65% de moyenne peut être renvoyé définitivement pour du « bavardage » ? C’est en effet illégal selon le SDJ, qui est donc venu soutenir le cas de Sami auprès de son école, en introduisant un recours devant la Ministre de l’Enseignement : « 67% des recours ont plus de deux mois de retard par rapport aux délais théorique. Cela peut notamment devenir très problématique lorsque l’exclusion a eu lieu vers la période des vacances de Pâques. Il devient alors très difficile pour nous d’obliger l’école à réintégrer le jeune avant la fin de l’année scolaire. Ce qui condamne l’élève à devoir repasser son année ».
Le 19 avril dernier, le recours de Sami a été jugé recevable et fondé par la Ministre. Mais là encore, rien n’est simple. L’école de Sami a décidé de ne pas respecter cette décision. Légalement, cet avis de la Ministre n’est pas contraignant, mais ce n’est pas pour autant qu’il peut être complètement ignoré ! À force d’insistance, la famille de Sami a fini par obtenir gain de cause et à forcer la réintégration de leur enfant dans l’établissement, afin qu’il puisse y terminer son année scolaire « et après, on le change directement de cette école ! », confie Jasmine.
Recours déposé par la famille
Car être réintégré de force dans une école qui ne veut plus de vous n’est pas chose facile. Sami témoigne : « Je suis isolé dans une classe, tout seul. On me donne des choses à faire mais c’est tout. L’autre jour en mathématiques, je faisais des exercices jusqu’au moment où je ne comprenais pas quelque chose. J’ai demandé au prof de math une explication. Il m’a répondu qu’il ne pouvait pas m’aider, que c’était une classe pour se mettre en ordre ». Une mise à l’écart qui ne peut qu’être préjudiciable sur le long terme pour l’élève, qui semble livré à lui-même pour cette fin d’année, alors qu’il a déjà accumulé plusieurs semaines de retard sur le programme. « Moi je m’en fiche d’être seul, cela me permet même d’avancer plus rapidement. Mais si les professeurs ne veulent pas m’aider, alors autant retourner dans ma classe, non ? », confie Sami.
Un cercle vicieux
Si l’on regarde les chiffres, on peut établir un lien presque direct entre la réussite scolaire et les taux d’exclusion. « Les élèves exclus ont plus de risques que les autres à l’être de nouveau », explique Jacques Vandermest, directeur de l’administration générale de l’enseignement. Les chiffres de l’administration confirment également un rajeunissement des élèves exclus : « cela date d’il y a une dizaine d’années, mais c’est le nombre d’exclusion d’enfants plus jeunes qui explique aussi l’augmentation du nombre total d’exclusions ». Du côté de la SDJ, on a recensé neuf exclusions en primaire (6-11 ans) et seize exclusions dans le premier cycle du secondaire (11-14 ans) sur l’ensemble de l’année scolaire 2016-2017.
« Dans la majorité des cas, nous sommes contactés par les familles après la décision de renvoi. Nous sommes alors obligés d’introduire un recours. Nous sommes évidemment plus efficaces lorsque nous pouvons dialoguer avec la direction de l’école et trouver une solution avec eux », explique Christelle Trifaux. « C’est également plus facile quand on se présente aux côtés d’une association. On sait que l’on ne pourra pas nous raconter n’importe quoi », conclut Jasmine.
* Pour des raisons de confidentialité, les noms des protagonistes ont été modifiés.
Thomas Destreille – Photos : Belga/Siska Gremmelprez – D.R./BX1