Rue de la Loi : comment les militants climat mettent les politiques sous pression

Le dossier du climat sera-t-il au cœur de la campagne jusqu’au 26 mai ? Voici la question que tous les états-majors des partis politiques se posaient ces dernières semaines.

Depuis les grands rassemblements du 2 décembre et du 27 janvier, où on a compté plus de 70 000 personnes dans les rues de Bruxelles, le climat s’est imposé comme un thème central. Avec un effet immédiat dans les sondages, portant les intentions de vote pour Ecolo à un niveau très élevé. On annonce même qu’Ecolo pourrait prendre la place de premier parti à Bruxelles.

Quand la société civile s’empare à ce point d’une problématique, le monde politique ne peut rester sourd et aveugle. Tous les partis ont donc inclus la « dimension climat » dans leur communication de campagne. C’est évidemment plus facile pour Ecolo qui est actif sur ce thème depuis longtemps, même si les écologistes restent prudents : ils ne veulent pas apparaitre comme ceux qui récupèrent une mobilisation citoyenne. Pour les autres formations c’est plus compliqué. Il y a ceux qui avancent des propositions compatibles avec les revendications des manifestants, mais en y ajoutant leurs propres accents : c’est ce que fait le Parti Socialiste en insistant sur « l’éco-socialisme » et le caractère social des mesures à prendre. Et  il y a ceux qui osent une forme de rupture avec l’air ambiant, exercice de style :  parler climat mais sans endosser les revendications de la coalition climat. Utiliser l’air sans fredonner la  même chanson. Le Mouvement Réformateur a ainsi tenu à se distancer du programme Ecolo en congrès ce weekend, affirmant que les verts n’avaient pas le monopole de la question environnementale (c’est juste), et défendant des mesures incitatives pour mieux refuser  d’éventuelles  mesures coercitives ou des taxes à la couleur environnementale (c’est plus discutable en terme d’efficacité). Celui qui va le plus loin dans ce registre du « climat, moi non plus » est Bart De Wever, le président de la N-VA qui a refusé de recevoir les manifestants de la jeunesse pour le climat qui se mobilisent depuis quelques semaines tous les jeudis midi.

Pour beaucoup de partis, il y a aussi eu la tentation de faire le gros dos. On spéculait sur un essoufflement du mouvement. C’est vrai que les manifestation du jeudi font de moins en moins recette. En étant un peu cynique, le risque d’être sanctionné par son établissement scolaire,  la période des examens et les terrasses ensoleillées allaient finir par avoir raison de cette jeunesse rebelle. Même l’attention médiatique allait probablement retomber une fois qu’il était clair que la loi spéciale pour le climat ne pouvait pas obtenir de majorité. Bref, on avait fait ce qu’on pouvait, mais faute de majorité, on allait renvoyer le débat à la formation des prochains gouvernements, donc au mieux au moins de juin.

Ce qui s’est passé dimanche soir avec l’occupation de la rue de la Loi, et la présence ce lundi de manifestant rue du Trône, pourrait pourtant changer  la donne. Les militants climat ont compris que l’organisation de grandes manifestations ne servait probablement plus à grande chose quand la fin de la session parlementaire arrive à grandes enjambées. Cela prend du temps à organiser, les foules risquaient d’être moins nombreuses qu’au mois de janvier, et les partis politiques n’ont de toutes façons pas l’air de les entendre, en particulier du côté flamand. En optant pour une autre forme d’action, plus radicale et plus spectaculaire, ils montrent leur détermination, et surtout leur capacité à continuer à peser sur le débat politique. Il y a évidemment moins de monde pour dormir sous tente rue du Trône, que le 2 décembre ou le 27 janvier. Seuls les plus déterminés sont présents. On est passé d’une grande mobilisation jeune et familiale, à une forme de protestation plus militante, plus organisée. Le modèle s’inspire des activistes américains avec les mouvements comme “Occupy Wall Street”. Il s’agit de frapper fort et par surprise, d’occuper le terrain, de passer à la désobéissance civile en assumant une démarche plus agressive. On ne revendique plus gentiment, on passe à la confrontation symbolique en descendant sur le terrain de l’adversaire. On s’affirme physiquement et on ne craint pas de s’enchaîner, flirtant avec la légalité, pour contraindre l’autre à ouvrir les yeux et les oreilles. La méthode est inhabituelle chez nous, et ça marche : tous les médias en ont parlé, que les parlementaires qui doivent débattre de l’opportunité d’une loi climat se retrouvent sous une pression de plus en plus forte. Ainsi le Mouvement Réformateur dont le chef de groupe David Clarinval affirmait il y a pile une semaine que toucher à l’article 7bis de la constitution était ouvrir la boite de Pandore et risquer une déflagration communautaire, finit par faire machine arrière, donnant raison à la pression de la rue : il s’est déclaré finalement ouvert à une modification de cet article (l’idée est que cet article soit complété de manière à ce que les objectifs climatiques approuvés par le législateur fédéral s’imposent à l’avenir aux entités fédérées).

Ceux qui spéculaient sur la fin du débat en sont donc pour leurs frais. Ces nouvelles méthodes de protestation vont maintenir le climat au cœur de la campagne électorale. Il est fini le temps où l’agenda électoral était dicté par les petites phrases et les éditorialistes. À l’heure des réseaux sociaux, la société civile (aidée par quelques organisations rompues aux mobilisations spectaculaires comme Greenpeace) a des capacités de mobilisation que personne ne maitrise vraiment. Pour certains politiques, ce n’est sans doute pas une bonne surprise.

Retrouvez l’édito de Fabrice Grosfilley dans Rue de la Loi, du lundi au vendredi vers 17h00 sur BX1.be et les réseaux sociaux de BX1

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25 mars 2019 - 17h17
Modifié le 26 mars 2019 - 10h56