Joëlle Milquet sous le feu des critiques suite aux révélations du Vif/L’Express

Une enquête judiciaire concerne l’ex-ministre CDH. Déjà inculpée de prise illégale d’intérêt depuis 2016, cette enquête porte aussi sur un détournement d’argent public, de faux en écriture ou en informatique et d’intrusion dans les courriels de ses collaborateurs. Joëlle Milquet se défend aujourd’hui dans Le Vif par une lettre rédigée conjointement avec son avocat, où elle réfute “ces accusations fantaisistes qui ne reposent sur rien“. 

Février 2014 : Suite à une lettre anonyme, Le Vif/L’Express publie deux articles sur l’engagement douteux de huit nouveaux collaborateurs au cabinet de Joëlle Milquet, juste avant que la campagne de 2014 ne se profile. Quelques mois plus tard, une information judiciaire est ouverte par le Parquet de Bruxelles, suite aux informations révélées par le journal. S’en suivront des perquisitions et finalement une inculpation en avril 2016, qui obligera Joëlle Milquet à présenter sa démission du ministère de l’Education.

22 Février 2019: Joëlle Milquet annonce sa candidature comme tête de liste aux élections fédérales, une candidature qu’elle retirera un mois plus tard, officiellement pour travailler à l’Europe, aux côtés de Jean-Claude Juncker.

Une deuxième lettre anonyme

Officieusement, il se murmure que cette décision pourrait avoir un lien avec les nouvelles révélations du Vif aujourd’hui. “Vu sa connaissance des chefs d’accusation au sujet desquels témoins et suspects ont été entendus par les enquêteurs, l’expéditeur/trice est vraisemblablement l’un/l’une d’entre eux“, explique le journal. La lettre aborde notamment les infractions reprises sur les convocations judiciaires de l’ex-ministre.

Tout d’abord, “prise illégale d’intérêt par une personne exerçant une fonction publique“, concernant l’engagement de huit collaborateurs pour travailler à la campagne électorale (révélé par La Vif en 2014). Avec de l’argent public, donc.

En deuxième, la lecture d’e-mails privés de certains collaborateurs, dont Joëlle Milquet essayait de découvrir qui était “la taupe” et fournissait des informations à l’hebdomadaire. Un échange de sms entre Joëlle Milquet et l’informaticien du cabinet, le 12 février 2014 (soit deux jours après les révélations du Vif), sont éloquents: “A 8h35, la ministre envoie “Surveiller A.B. L’informaticien répond aussi tôt “OK, je suis dessus” “. L’informaticien a reconnu avoir effectué des recherches dans les boîtes mail. L’un des collaborateurs visés à d’ailleurs porté plainte lorsqu’il a appris cette intrusion.

Ensuite nouveautés: détournement de deniers publics dans le cadre de prestations “n’entrant pas dans le rôle de soutien à un ministre” et à nouveau, “prise illégale d’intérêts“. Cette accusation concerne principalement le chauffeur particulier de Milquet, qui réalisait des tâches privées pour l’ex-ministre. “Faire les courses du ménages 2-3 fois semaine, conduire les enfants à l’école, conduire les chiens au toilettage“, tout y passe. D’autres témoignages affirmes que des voitures du cabinet ont été utilisées par les enfants de Milquet, notamment lorsque la leur était en panne.

La dernière infraction pointe le “faux en écriture et/ou en informatique“. La justice suspecte que les collaborateurs du cabinet prenaient officiellement congé les jours où ils travaillaient pour la campagne de la candidate CDH Milquet, mais récupéraient ces congés une fois les élections passées. L’ancienne secrétaire du chef de cabinet est en aveu concernant cette pratique. Elle a assuré aux enquêteurs avoir agi “sur instruction” de la ministre.

Le journal a tenté de joindre des collaborateurs afin de vérifier ces informations. Et le moins que l’on puisse dire est que ces affirmations sont largement confirmées par une majorité de témoins: “D., le chauffeur particulier de la ministre, a pratiquement éduqué les gosses de Joëlle. Il les voyait plus qu’elle ne les voyait” assène l’une des collaboratrices.

Une ministre omnipotente

De manière générale, rien ne se faisait sans l’aval de la ministre“, assure les collaborateurs vus et entendus au cours de l’enquête. “Il était impossible de s’opposer à l’une de ses décisions. Elle répondait que c’était quand même elle la ministre!“. “Après les articles du Vif, elle nous a envoyé un mail nous disant de faire attention à la gestion des congés“, souligne un témoin.

Alors quand Joëlle Milquet, à la surprise générale, annonce qu’elle retire sa candidature pour travailler avec le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, on peut légitimement se demander si ce revirement n’est pas une forme de mise à l’écart “dorée” d’une candidate qui aurait pu s’avérer encombrante pour le CDH. “Une partie des gens au CDH n’avaient pas envie qu’elle remonte en première ligne. A Bruxelles, on a de vrais bons jeunes sur lesquels il faut miser“, confie un élu. “La génération de Joëlle ne représente plus l’avenir“.

Quoi qu’il en soit, Joëlle Milquet est désormais hors de tout mandat politique. Elle ne siégera plus au conseil communal de Bruxelles-Ville, ni au parlement bruxellois, ni au Parlement fédéral. Elle avait pourtant clairement exprimé son souhait de rester parlementaire.

Joëlle Milquet se défend face aux accusations

Suite à cet article et au dossier du Vif/L’Express, l’avocat de Joëlle Milquet, Adrien Masset, nous fait part du droit de réponse suivant :

« -Joëlle MILQUET, par la voix de son conseil, Me Adrien MASSET, réaffirme que l’instruction dirigée contre elle à présent depuis plus de 4 années n’a mis en lumière aucune irrégularité: elle s’en est déjà largement expliquée, preuves et nombreuses notes à l’appui qui démontrent l’absence de toute infraction ;  elle peut évidemment encore continuer à s’en expliquer dans le cadre de la procédure judiciaire mais elle n’entend ni plaider sa cause par presse interposée ni nourrir la violation par certains du secret de l’instruction.

-Visée depuis 5 ans  uniquement par des articles du Vif qui relaient à chaque fois des sources dont la volonté de lui nuire est manifeste  et qui n’ont le courage que de l’anonymat, Joëlle MILQUET entend  ne pas laisser salir sa réputation et son honneur.

-L’inculpation du chef de prise d’intérêt correspond à une méconnaissance de la spécificité du fonctionnement des cabinets ministériels et des règles juridiques qui leur sont applicables  : le conseiller instructeur, qui a succédé au conseiller qui avait hâtivement inculpé J. Milquet, vient d’écrire dans une ordonnance qui accorde la presque totalité des nombreux devoirs d’enquête complémentaires demandés par J. Milquet, que « l’instruction n’a pas révélé l’existence d’indices de nature à conforter des suspicions que des personnes engagées au cabinet y occupaient des emplois fictifs . Il n’y a pas d’intérêt à indaguer sur ce qui est conforme à une réalité, à savoir que ces personnes ont assuré d’une manière effective des missions pour le cabinet de la requérante. »

Les propos anonymes et malveillants relayés par le Vif en 2014  sont donc totalement et officiellement infirmés : ce n’est pas rien. C’est pourtant ce seul motif et ce seul article de presse qui ont entraîné l’ouverture d’une enquête pénale. Quel gâchis !

-Il n’y a, dans les éléments présentés par Le Vif aucun élément neuf sinon l’opportunité récente d’engagement de J. Milquet dans la promotion des droits des victimes, à l’initiative de M. Junker ; les chefs d’accusation avancés par le parquet général sont connus depuis des années et J. Milquet s’en est expliquée largement et en a démontré l’inanité.

-Les autres chefs d’accusation, visés en début d’enquête par le parquet, ne tiennent pas non plus la route, ni en droit, ni en fait. 

  • détournement de fonds ? Joelle Milquet a démontré que le droit fiscal applicable permet clairement par exemple aux chauffeurs, dans tous les cabinets, d’exercer des fonctions privées au service du ministre, comme l’a fait J. Milquet ; aucune voiture de cabinet n’a jamais été utilisée par les enfants de J. Milquet, – ils avaient d’ailleurs chacun une voiture d’occasion -, ce que confirme l’enquête, et dire le contraire relève du mensonge ;
  • faux et usages de faux ? Joelle Milquet n’a jamais donné la moindre instruction à une collaboratrice ou à quiconque de modifier des encodages de congés et l’enquête n’a pas pu mettre en lumière la moindre preuve matérielle contre J. Milquet : cette absence de preuves matérielles vaut mieux qu’une lettre anonyme. Au contraire, le dossier regorge de preuves démontrant l’insistance de la ministre et de son chef de cabinet à demander  que toute aide à la campagne du cdH se fasse bien dans le cadre de congés ; de multiples auditions confirment ces éléments.

Les compensations de congé qui ont été retrouvées, et dont l’illégalité reste même à prouver par l’enquête,  ont été faites par une collaboratrice qui a agi à l’insu de la ministre et du chef hiérarchique et, en outre, élément capital, à une époque où J. Milquet avait quitté le cabinet de l’intérieur !

  • hacking ? Le cabinet de Joelle Milquet a été victime d’un vol informatique de documents qui ont nourri anonymement le Vif : c’est de manière légale, ce qui a été démontré juridiquement, que Joelle Milquet a pris les mesures de protection de sécurité numérique au sein de son cabinet, ce qui est évidemment élémentaire ; elle n’a fait prendre connaissance d’aucun contenu de mails du personnel, mais bien de la présence, sur les adresses publiques et non privées d’IBZ, de pièces attachées correspondant aux documents dérobés.

-Cinq ans après la parution des deux articles du Vif alimenté par une  même lettre anonyme, et après l’ouverture sur cette seule base d’une enquête judiciaire, le dossier se dégonfle de manière évidente, malgré l’acharnement d’enquêteurs qui, par exemple, pendant plus d’un an ont refusé de se renseigner sur le cadre juridique exact de ce qu’ils devaient analyser, ou qui n’ont eu de cesse de présenter aux personnes entendues que les éléments qu’ils estimaient négatifs en négligeant les autres. Le lieu n’est pas à la polémique par presse interposée mais Joelle Milquet critique, de manière argumentée et étayée par de multiples exemples dans un document de synthèse, l’impartialité des enquêteurs.

-Le dossier regorge d’auditions qui sont tenues sous silence par ces sources anonymes qui abreuvent le Vif mais qui, de manière remarquable, soutiennent Joelle Milquet et la vérité des faits, par des personnes qui ont été heureuses de travailler avec Joelle Milquet pendant de très nombreuses années. Ce ne sont pas les quelques propos vénéneux ou frustrés de quelques-uns qui changeront cette réalité.

-En avril 2019, il n’y a toujours pas de réquisitoire de fin d’instruction, il y a encore de nombreux devoirs d’enquête à exécuter à la demande de Joelle Milquet et accordés par le conseiller instructeur, il n’y a pas la moindre demande de levée d’immunité ministérielle et encore moins la moindre condamnation. 

La défense massive de Joelle Milquet s’exerce de manière forte, juridique, efficace, précise et confiante car le temps des preuves et du respect du droit n’est pas celui des propos malveillants ou orientés.

-Le conseil de Joelle Milquet demande, pour conclure,  que s’arrête envers sa cliente ce harcèlement suspect, public et malveillant depuis 5 ans, que l’instruction puisse être menée non par des journalistes sans connaissance  du dossier judiciaire mais  par les magistrats  et que cette enquête se termine sereinement dans un cadre judiciaire sans violation du secret de l’instruction et dans le respect, faut-il encore le rappeler, de la présomption d’innocence. » 

T.D. / Image: Belga

Partager l'article

04 avril 2019 - 14h15
Modifié le 04 avril 2019 - 17h52