Rue de la Loi : le tract d’Ecolo, partie émergée des campagnes communautaires

Il n’aura été distribué que quelques heures, à seulement quelques centaines d’exemplaires, mais il a mis le feu aux poudres. Le tract imprimé par Zoé Genot et Ahmed Mouhssin, candidats écolos de Saint-Josse a ramené la question communautaire au coeur de la campagne, et on se doute que les écologistes s’en seraient bien passé.

Qu’y lit-on ?  Au recto une synthèse des positions des partis politiques sur des questions liées à la pratique du culte musulman. Quel parti est favorable ou pas au port du voile au guichet des administrations publiques, dans les écoles,  ou qui autorise l’abattage rituel ? Deux partis sortent du lot : Ecolo et le PTB. Au verso, la signature et la photo des deux députés verts qui invitent le public à un débat sur ces questions.

La révélation de l’existence de ce tract a provoqué pour les verts une volée de bois de la même couleur. Denis Ducarme, Georges-Louis Bouchez, Georges Dallemagne, Sophie Rohonyi et même Marie Nagy (une ancienne du parti passée désormais chez Défi) ont rapidement dénoncé une campagne qui surfe sur le communautarisme et publiquement demandé des explications au parti écologiste. Lequel les a fourni assez rapidement en sermonnant vertement ses candidats et en leur intimant l’ordre de retirer la fameuse communication. La mise au point de Zakia Khattabi fût même sévère : “nous avons toujours critiqué et dénoncé ce genre de pratique électorale chez les autres. Elles ne sont pas plus acceptables quand elles viennent des nôtres, même une seule fois est une de trop”. 

Faut-il s’émouvoir de ce tract qui veut donner aux verts la couleur de l’Islam ? Oui parce qu’il ne parle que de cela et donne donc l’impression de “cibler” une communauté religieuse en la caressant dans le sens du poil, ce qui est la définition du communautarisme. Oui encore parce qu’il est réducteur, un peu trop résumé pour être parfaitement honnête sur des sujets compliqués et qu’il tombe à un moment sensible. Ne pas comprendre qu’il allait susciter un tollé est au minimum une erreur d’appréciation.

Mais attention. Cette condamnation est un peu trop rapide pour être honnête et pousser un cri d’indignation est plus facile que d’aller au fond des choses pour tenter de  faire le tour du problème. Car rien dans ce tract n’est mensonger. Les deux élus n’ont fait que reprendre une synthèse publiée par  la Libre Belgique (qui se basait sur les réponses fournies par les partis politiques). Diffuser l’information c’est bien le but d’une campagne électorale. Que cette information se fasse par écrit et en langue française est en réalité un moindre  mal. C’est un secret de polichinelle, et il ne faudrait pas être hypocrite en s’acharnant sur les deux écolos : la plupart des partis politiques (mais c’est plus vrai à gauche qu’à droite) abritent en leur sein des candidats qui réalisent des campagnes communautaires. Et au sein de la communauté musulmane le petit jeu de ces candidats consiste à affirmer que leur parti est celui qui permettra le plus au culte musulman de s’exercer sans entrave. Ce jeu est malsain, et pourtant oralement, parfois en langue arabe, il se pratique couramment. Et pas que chez les écologistes.

On peut évidement avoir le débat. Sur le port du foulard par exemple, tant dans les services publics que dans les écoles. C’est la liberté de chaque formation politique de défendre la position de son choix et celle de l’électeur de l’approuver ou pas. Même sur l’autorisation de l’abattage rituel sans étourdissement, il convient d’être prudent et nuancé. Car non, ce débat n’est pas clos. Si la Flandre et la Wallonie ont bien décidé de l’interdire, la Région Bruxellois n’a pas pris d’ordonnance en ce sens, il reste donc parfaitement légal dans la capitale. On précisera d’ailleurs que dans les autres régions du pays les communautés concernées (les musulmans d’un coté, les juifs de l’autre) ont saisi la cour constitutionnelle, qui a elle même décidé de se tourner vers la cour de justice européenne (c’était le 4 avril) : il n’est pas exclu que les juges récusent l’interdiction au nom de la liberté religieuse (la directive européenne qui sert de référence aux législateurs nationaux prévoyait d’ailleurs des exceptions au principe général pour cause religieuse). Attention aux condamnations hâtives qui ont parfois des relents d’islamophobie.

Tout cela ne s’explique pas en deux phrases dans un tract. Mais l’incident est aussi et surtout révélateur d’une tension qui traverse plusieurs formations politiques  entre d’un coté des élus qui flattent la communauté des croyants dans le but de faire des voix (et y arrivent souvent bien) et des directions de parti locales ou nationales plus enclines à une stricte séparation de la politique et de la religion (mais qui ne crachent pas non plus sur les voix en question). Avec une sensibilité qui n’est evidemment pas la même suivant que l’on habite Laeken ou Arlon. Il serait sain que chaque parti puisse résoudre en son sein cette équation compliquée. Qu’une réflexion globale sur la place de la religion dans l’espace public puisse sans doute être menée et modernisée. La campagne électorale est le plus mauvais moment pour le faire.

 

 

 

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15 mai 2019 - 17h47
Modifié le 16 mai 2019 - 10h05