Rue de la Loi : les boules puantes

Une campagne électorale est, en théorie, un affrontement d’idées, en pratique, un affrontement tout court. Une compétition pour laquelle chaque candidat donne le meilleur de lui-même pour faire triompher ses idées et élire sa personne. On aime la confrontation, le concurrent est un adversaire, on ne se fait pas de cadeau, on encaisse les coups et on en donne, on cherche le K.-O. Tout ce vocabulaire sportif ou guerrier nous rappelle que la politique est un sport de combat. Il ne faudrait quand même ne pas oublier que même dans un sport de combat, il y a des règles à respecter.

Dans cette dernière ligne droite, la campagne en Région bruxelloise a donc pris une tournure qui nous éloigne des règles du fair-play. Il y a d’abord l’accusation de communautarisme, que l’on se renvoie à la figure de parti à parti. Alors oui, c’est vrai, beaucoup de candidats privilégient des discours ciblés à destination de petits groupes plutôt que s’adresser à la grande communauté des Bruxellois. C’est une question importante. Dans une démocratie qui fonctionne, on préfère un débat auquel tous les citoyens prennent part, plutôt que des ilots de convictions qu’on pose les uns à coté des autres et qui finissent par nous séparer. Cela mérite une réflexion de fond. Le problème quand on parle de communautarisme, surtout dans les semaines qui précèdent une élection, est qu’on voit souvent la paille dans l’œil du voisin et qu’on néglige la poutre qui est dans le sien.

Ces derniers jours, on a aussi vu des photos avec un tel ou un tel qui fréquenterait un imam peu recommandable (sans dire que la photo était étroitement cadrée et qu’il y avait dans cette cérémonie officielle, plein d’autres personnes parfaitement fréquentables). On a évoqué dans une autre commune des subsides qu’on réserverait aux copains. Ou encore une accusation à demi-mot d’une élection communale d’octobre dernier qui aurait été truquée, avec des certificats médicaux de complaisance rédigés par un médecin candidat. Une élection manipulée, c’est grave. Quand on en a la conviction, il faut immédiatement porter plainte, surtout quand on s’est fait aider par un avocat pour collecter des arguments. Ne rien en dire et attendre les derniers jours de la campagne électorale suivante pour en reparler, cela ressemble très fort à une basse manœuvre politicienne.

Ajoutons les injustes sexistes et le harcèlement des femmes, que ce soit dans la rue ou par l’intermédiaire lâcheté des réseaux sociaux et les menaces de morts reçues par certains candidats.

Tous ces exemples, et il y en a sûrement d’autres, sont ce qu’on pourrait appeler des boules puantes. Des petites accusations, pas  vraiment étayées, qu’on lâche mine de rien à quelques jours d’un scrutin. On peut se moquer des campagnes à l’américaine durant lesquelles tous les coups sont permis, y compris parler du compte en banque ou de la vie sentimentale de votre adversaire. Je ne suis pas sûr que l’on soit, dans cette campagne régionale, qualitativement bien au dessus des mœurs américains.

Personnellement, en 20 ans de journalisme politique, j’ai trop souvent entendu des hommes et des femmes politiques reprocher à la presse de ne pas faire suffisamment de place au débat d’idées, de ne pas expliquer suffisamment les programmes, d’être trop schématique, racoleuse, populiste, même, parfois… pour ne pas dire à ces hommes et ces femmes politiques, que leurs coups bas ne servent pas la démocratie. Toutes ces odeurs désagréables ne donnent sûrement pas aux électeurs l’envie d’aller voter. Celui qui lance la boule puante ne va pas sentir meilleur que les autres.

Partager l'article

22 mai 2019 - 17h00
Modifié le 22 mai 2019 - 17h31