Rue de la Loi : Dries Van Langenhove au perchoir, quelle est la bonne réaction ?
Son nom symbolise à lui seul le fossé grandissant entre les opinions francophones et flamandes. Dries Van Langenhove a accédé à la notoriété en Flandre par l’intermédiaire d’un reportage de la VRT sur son organisation Schield & Vrienden, un mouvement de jeunesse d’extrême-droite, qui derrière une façade qui se voulait respectable diffusait une idéologie ouvertement raciste. L’émotion suscitée par cette enquête valut au jeune homme d’être suspendu par son université (l’université de Gand) mais aussi d’être recruté par le Vlaams Belang dont il emmena la liste du Brabant flamand au scrutin fédéral du 26 mai. Propre sur lui, avec ses costumes bleu électrique impeccables et ses chemises blanches, il incarne la nouvelle vitrine de l’extrême-droite, celle qui est susceptible de séduire près d’un Flamand sur cinq. Côté francophone, sa notoriété, au-delà du petit milieu qui s’intéresse fortement à la politique, reste toute relative.
Voici donc Dries Van Langenhove élu député fédéral. Et comme il est l’un des deux plus jeunes élus de la nouvelle assemblée, il est appelé à jouer le rôle de « secrétaire » lors de la séance d’installation (le règlement de la chambre veut que les deux benjamins de l’assemblée « assistent » le président sortant, ou à défaut, le parlementaire à la plus longue expérience). Hasard du calendrier (ou pas) notre homme vient d’être inculpé pour racisme et négationnisme, mais laissé en liberté conditionnelle par le juge d’instruction. Côté francophone, sa présence à la tribune dérange, c’est un euphémisme. Les écologistes se sont manifestés en premier, les libéraux ont suivi, faisant connaître leur malaise. Le groupe socialiste a indiqué que l’autre benjamine de la chambre, Melissa Hanus, n’irait pas s’asseoir au perchoir avec lui et restera sur son banc pour protester et Zakia Khattabi, la co-présidente d’Ecolo, est encore montée d’un cran en estimant que cela ne suffisait pas et qu’elle envisageait de ne pas prêter serment.
Depuis hier les chefs de groupe de la chambre tentent donc de trouver une parade à cette présence gênante. Empêcher purement et simplement Dries Van Langenhove de monter à la tribune n’est pas une option. Le règlement c’est le règlement, ne pas l’appliquer serait faire un énorme cadeau à l’extrême-droite et lui permettre de se poser en martyr. Invoquer son inculpation n’est pas un meilleur chemin : l’inculpation n’est pas le prononcé, tant que Dries Van Langenhove n’est pas condamné, il est présumé innocent. On a prêté à Patrick Dewael, qui présidera la séance et n’est pas suspecté de complaisance avec l’extrême-droite, l’intention de se passer du service des deux secrétaires d’un jour, mais lui ne confirme pas, et il n’est pas sûr que le règlement le permette vraiment. Les députés se débattent donc avec cette équation : comment émettre une condamnation morale sans se mettre en contradiction avec le droit (ce qui serait un comble) et heurter de plein fouet la fierté flamande ?
Car l’équation ne vous aura pas échappée : la présence de Dries Van Langenhove (et au-delà de lui de 18 parlementaires du Vlaams Belang) émeut beaucoup les francophones, elle ne fait pas débat côté flamand. C’est juste l’expression de la démocratie représentative. En faire une affaire d’Etat, en refusant de prêter serment par exemple, c’est prendre le risque d’accentuer la dérive des continents francophones et néerlandophones et se mettre en position de donneur de leçon : tout ce que les Flamands, et en particulier les électeurs du Vlaams Belang ou de la NVA reprochent déjà aux francophones. Entre ne pas banaliser et ne pas sur-réagir, l’équilibre est donc difficile à trouver et varie d’un groupe à l’autre, voire d’un parlementaire à l’autre.
On rappellera que la présence d’élus d’extrême-droite n’est d’ailleurs pas une première. En 2004, Charles Petitjean , du Front National, avait présidé les séances d’installation du parlement wallon et du parlement de la Communauté française (la règle désignait à l’époque le doyen d’âge) : les francophones ne sont finalement pas si bien placés pour faire la morale.
En temps normal la sortie de crise aurait pu se chercher au sein de la conférence des présidents. Comme le bureau de la Chambre n’est pas encore constitué, cette réunion ne peut pas se tenir. Les groupes parlementaires multiplient les contacts informels pour tenter de trouver une solution acceptable par tous, juridiquement solide, et qui ne jetterait pas à nouveau les francophones contre les flamands. Car tout le danger est là : que les quelques minutes que Dries Van Langenhove passera (ou pas) à la tribune du parlement ne servent d’accélérateur aux discours confédéralistes.